A propos de mendicité

Pour faire suite au dernier compte-rendu du Collectif, Bertrand a retrouvé un texte de 2011 écrit par Anne et Roseline pour la LDH de Lille. Un texte toujours d’actualité.

LA MENDICITE

Que penser ? Que dire ?   Que faire ?

LA MENDICITE : UN FLÉAU QUI NE CESSE DE CROÎTRE ET TRADUIT L’EXTRÈME FRAGILITÉ D’UNE PARTIE DE LA POPULATION.

La mendicité peut être un mode de vie librement choisi. Il en est ainsi pour les ordres mendiants que l’on trouve dans toutes les religions. Mais, soyons réalistes, les personnes, de plus en plus nombreuses, que l’on voit mendier sur les places, aux entrées de métro, sur les parking, ne sont pas la manifestation d’un renouveau du religieux mais révèlent plutôt la violence de la crise financière, économique et sociale qui rejette les plus fragiles d’entre nous aux limites de la société et les contraignent à cette extrémité pour assurer leur survie parce qu’ils n’ont pas de travail, pas de logement et sont victimes de cette société « à deux vitesse » ;

Il en est ainsi des « sans droits » : chômeurs en fin de droit, jeunes n’ayant pas l’âge pour accéder au minima sociaux, SDF etc… mais aussi « sans papier » et plus récemment Roms venus de Roumanie, Bulgarie … ou l’ex Yougoslavie.

Ceux qui viennent de pays hors UE sont soumis aux législations très répressives à l’encontre des étrangers (titres de séjour, rétention, répression relevant des lois Sarkozy-Hortefeux-Besson). Les 15 000 réfugiés Roms vivant en France qui viennent de Bulgarie et de Roumanie, pays intégrés à l’Europe sont des européens de seconde zone et soumis aux dispositions spéciales de la « période transitoire » de 7 ans (jusqu’en 2014) qui semblent plus favorable quant au droit de circulation, de séjourner et de travailler mais qui les contraignent de trouver un travail dans les trois mois qui suivent leur arrivée.

Ne nous voilons pas la face, les préjugés, le rejet dont sont victime les Roms et l’obligation faite aux employeurs, qui souhaiteraient les embaucher, de payer une taxe de 900€ à l’OFI leur interdit de fait tout accès à un emploi.

Les activités économiques Roms sont donc entravées par la réglementation et le chômage. Pourtant ils  ne sont loin pas sans capacités ou inactifs : travail au noir, récupération, vente de journaux ou de matériels restaurés, musique et spectacle de rue etc…) Tout cela ne leur vaut que de maigres ressources, très partielles et précaires. A cela s’ajoute une limitation drastique des aides sociales (AMASE supprimées ou limitées, exclusion de certains bureaux d’aide sociale ou de centres associatifs d’aide etc..). Dans ces conditions les services aux carrefours et la mendicité en centre ville deviennent une nécessité pour ces familles. Et les femmes et les enfants jouent donc un rôle central dans ce dispositif de survie d’une population victime de rejets et ségrégations répétées (dans leur pays d’origine, en Europe, sur le territoire français).

Ce sont les causes de la pauvreté qu’il faut incriminer, non les effets subis par ses victimes

Ces situations sont en infraction avec les engagements humanistes universels:

La triple exclusion des Roms (pays d’origine, Europe, France) contrevient à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948: aux articles 3, 5, 6,7,9 sur les droits généraux (sûreté, traitements inhumains ou dégradants, personnalité juridique, protection contre les discriminations et l’arbitraire) mais aussi auxarticles 22 (sécurité sociale, droits économiques, sociaux et culturels…) 23 ( travail) 25 (niveau de vie suffisant, santé, alimentation, habillement, logement, soins, services sociaux, protection de la maternité et de l’enfance) 26 et 27 (éducation et culture).

Le rejet et la marginalisation inscrite dans notre législation et les pratiques du Ministère de l’Intérieur entrent aussi en contradiction, de manière flagrante, avec la Convention des droits de l’Enfant de 1989 et avec la Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités du 18 décembre 1992

MAIS QUE PENSER DE LA MENDICITE DES ENFANTS

OU AVEC LES ENFANTS ?

Voir des enfants ou des femmes avec leur bébé mendier choque.

Il est évident qu’en organisant la mendicité des enfants,  des familles Roms jouent sur la corde sensible, provoquant tantôt la compassion tantôt la révulsion du public. La réflexion du collectif, dans sa diversité, comprend ces réactions spontanées mais privilégie une approche rationnelle de la réalité humaine et sociale, et on peut affirmer de manière forte que la misère des enfants et des femmes étalée sur les trottoirs n’est pas seulement une mise en scène mais correspond à une misère REELLE.

La réunion a  par ailleurs soulevé la diversité des situations :

  • Certaines familles Roms condamnent la mendicité des enfants
  • Certains enfants sont contrains et exploités
  • Mais d’autres le font volontiers, comme un travail, participant par là à la survie de la famille.
  • Quand les enfants sont scolarisés ils ne mendient pas.

Nous rejetons la mendicité des enfants mais nous constatons qu’elle s’impose à des familles dont la survie est menacée. La misère visible des Roms entraîne aussi une sensibilisation forte des personnes vivant dans les quartiers. Il ne faut pas nier la générosité et souvent l’efficacité de la démarche. Il ne faut évidemment pas la condamner ni bien sûr la tarir mais il faut débattre et agir pour que cette démarche honorable de citoyens s’inscrive aussi dans une participation à une lutte institutionnelle pour la reconnaissance des droits des Roms. Revendiquer la justice et la solidarité, sans fustiger la charité. Comment  l’inscrire davantage dans une participation à une lutte politique.  Il y a là tout un travail de pédagogie en vue d’une prise de conscience de la nécessité d’une solution sociale et politique. C’est prioritairement au nom de la justice, de la solidarité active et de la recherche de solutions structurelles que le collectif construit le dénominateur commun de ses analyses et de son action et transcende nos sensibilités personnelles, légitimes.

Face à cette situation, contraire à la Convention des droits de l’Enfant de 1989, il nous faut trouver une solution de sortie par le haut, progressive, à construire pas à pas, avec des propositions concrètes fondées sur l’analyse objective des réalités vécues.

DES REPONSES PARTIELLES, PROVISOIRES MAIS

CONCRETES

Des embryons de réponses ont été formulées dans le débat. Le temps nous a empêché de les creuser et de les passer au feu de la critique. Ce sera l’objet de séances ultérieures. Dans l’état présent, nous nous contenterons de faire l’inventaire des pistes ouvertes

  • A court terme :
  • Développer l’action pour la scolarisation des enfants

En liaison avec l’ASET, l’inspection académique, les inspecteurs de l’EN, les municipalités, les centres sociaux et les organismes de culture populaire ainsi qu’avec les habitants des quartiers, les associations de parents d’élève etc… Il est aussi indispensable de trouver des formes spécifiques d’accès à l’école. Et d’étudier concrètement la répartition des enfants et les formes de ramassage scolaire. Contrairement à ce que l’on entend dire les familles sont favorables à la scolarisation de leurs enfants mais cette scolarisation est souvent empêchée du fait du refus de certaines municipalités de domicilier ces familles via leur CCAS.

  • Rencontrer les organismes liés à l’enfance

L’aide à l’enfance du Conseil Général, le juge à l’enfance doivent être contactés pour mettre au point des mesures d’incitation permettant une résorption de la mendicité enfantine plus particulièrement de la mendicité avec les bébés. Des solutions ont déjà été trouvées dans d’autres département (conventions avec les familles…)

  • Organiser de manière plus rationnelle les aides matérielles

Essayer d’encadrer les dons spontanés pour éviter les gaspillages et la dépendance, s’enquérir davantage des besoins réels des familles. Mieux coordonner les aides des organismes associatifs et des collectivités territoriales. Poser aussi le problème de la qualité alimentaire qui ne doit pas rester l’apanage des plus aisés.

  • A moyen terme
    • Mener une action conjointe avec différents partenaires institutionnels

Avec les élus européens, nationaux et locaux pour poser le problème de la modification des mesures législatives et des pratiques en résultant. Avec les travailleurs sociaux. Avec le milieu enseignant et de l’aide à l’enfance pour une action pédagogique et psychologique non répressive.

  • Inscrire l’action pour l’abandon de la mendicité dans le travail des médiateurs

Des médiateurs Roms mis en place par l’Europe mais aussi de tous ceux qui exercent une médiation de fait : agents municipaux, travailleurs sociaux etc… Cela réclamant bien sûr une formation à la communication et à la connaissance réelle des problèmes afin d’éviter de donner à l’intervention un caractère « moraliste ».

  • Revendiquer des niveaux de ressources minimales pour les Roms

L’obtention de ce revenu minimal, seule issue réaliste pourrait inclure le renoncement par contrat à la mendicité.

Gérard Minet et Roseline Tiset (LDH)                                              20 mars 2011